
Rencontre avec Soizick : "On peut redonner confiance aux jeunes en valorisant leurs talents ! »
Depuis 2022, émerge un projet social aux Feuillants. Le but ? Donner accès à l'art et la culture aux jeunes défavorisés pour favoriser leur reconstruction et leur émancipation.
Peux-tu te présenter, ainsi que ton parcours ?
Je m’appelle Soizick, j’ai 22 ans. J'ai commencé mon parcours d’études par une licence en Lettres et Sciences Politiques, à Angers. En dernière année, j’ai réalisé un stage dans le milieu de l’insertion avec des femmes fragilisées qui se reconstruisaient par le travail artisanal ; cette expérience m’a poussée à faire des études dans le domaine de l’insertion. J’ai donc poursuivi mes études avec un master en sciences de l’éducation, en alternance.
Comment es-tu arrivée aux Feuillants ? Quel y est ton poste ?
J’ai entendu parler du tiers-lieu des Feuillants à Poitiers, et j’ai demandé à y faire mon alternance. J’y occupe le poste de chargée de projet en médiation culturelle en faveur de jeunes défavorisés.
D’où t’es venue l’idée de ce projet, et comment l’as-tu construit ?
La déléguée générale de l’association, Agnès Ramé, avait déjà l’intuition d’un nouveau projet concernant les jeunes confrontés à la justice. Cette idée avait du sens par la situation historique et géographique des Feuillants : ancienne école, ils sont situés non loin du palais de Justice de Poitiers. Agnès m’a proposé de bâtir un projet de A à Z, mettant en lien la culture et les jeunes défavorisés.
La première étape dans la construction du projet a été la phase d’audit, durant laquelle j’ai étudié ce qui a déjà été fait dans ce domaine à Poitiers, et à l’échelle nationale, pour m’en inspirer. J’ai ensuite passé 3 semaines dans une MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social), afin d’avoir une approche concrète et humaine du public auquel j’allais m’adresser. J’ai également échangé avec des professionnels de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance). Enfin, la mise en place des stages a débuté, avec le premier stage artistique en décembre 2022, qui s’est déroulé au tiers-lieu pendant 2 jours, autour du thème “Les traditions de Noël”.
Quel est le but du projet ?
Le premier but du projet est de répondre à des manques qui défavorisent les jeunes rendus vulnérables par leur situation sociale, familiale ou économique. Lors de mes échanges avec l’ASE, nous avons établi plusieurs constats : une grande inégalité existe dans l’accès à l’art et à la culture ; les enfants défavorisés connaissent une carence culturelle importante, et un manque de confiance en leurs capacités et leurs talents ; leur milieu de vie leur ouvre un horizon limité.
Les stages artistiques constituent une réponse à ces manques, et se donnent un triple objectif :
- Donner aux enfants l'accès à la culture, en favorisant une approche ludique.
- Leur ouvrir d’autres horizons en permettant des rencontres avec des artistes et artisans professionnels, les usagers du tiers-lieu, les animateurs des stages.
- Lutter contre un sentiment possible d’illégitimité de ces enfants face au domaine culturel, permettre la valorisation personnelle et la découverte de leurs talents par la pratique artistique, valoriser la confiance en leurs capacités.
A long terme, ces actions seront pour ces jeunes un moyen de prise en main totale de leur place dans la société.
À quel public t’adresses-tu ?
Je m’adresse aux jeunes défavorisés du département, entre 10 et 25 ans, éloignés de l’art et de la culture par leur situation sociale, familiale ou économique, et qui, par leur condition, n’ont pas les moyens, la curiosité ou l’envie d’approcher le monde artistique et culturel. Il s’agit des jeunes placés dans les MECS, dans les résidences de mères adolescentes ou de mineurs non accompagnés, et des jeunes de la mission locale en décrochage scolaire.
"La meilleure récompense que je reçois, c’est de voir leur réaction émerveillée."
Combien de stages as-tu déjà mis en place ?
Depuis décembre 2022, quinze stages ont été organisés, sur un ou deux jours, autour de neuf thèmes différents à caractère culturel, du vol de la Joconde à l’histoire de l’Aéropostale, en passant par la fête de la musique, la fête nationale ou les monuments de Poitiers...
J’ai choisi d’adopter pour ces stages une approche ludique de la culture, qui permet un apprentissage accessible. A partir d’un thème culturel, je conçois des activités récréatives et artistiques. Lors du stage sur le thème du vol de la Joconde, les jeune devaient résoudre des énigmes au cours de la journée pour retrouver le tableau de Léonard de Vinci ; une chasse au trésor dans la chapelle les a menés à la résolution de l’enquête. Ils ont ensuite peint des toiles de la Joconde qu’ils ont pu rapporter chez eux. Ils ont ainsi appris qui étaient Léonard de Vinci et la Mona Lisa, découvert des notions sur la Renaissance, la peinture, le portrait, en jouant dans un lieu culturel unique.
Peux-tu nous raconter un stage type ?
Il faut compter environ 2 semaines pour la préparation d’un stage et son organisation.
La semaine précédant le stage, j’apporte personnellement aux enfants des invitations nominatives : nous pouvons ainsi échanger, et ceux qui ne me connaissent pas peuvent me rencontrer avant de venir au tiers-lieu. J'organise chaque stage pour environ 6 à 8 enfants. Je suis accompagnée de Valérie Landrault, art-thérapeute à la MECS et mon interlocutrice principale pour le projet, ainsi que d’un ou deux éducateurs.
Le jour du stage, les enfants arrivent à 10h ; le tiers-lieu leur permet de sortir de leur cadre de vie habituel, et constitue pour eux une parenthèse dans un lieu neutre et chaleureux.
De 10h à 12h a lieu la présentation du thème, avec une alternance entre jeux, “temps culture”, et activités artistiques.
A 12h, les enfants se rendent dans le café associatif où le déjeuner a été préparé et installé par l’équipe du tiers-lieu, qui réserve toujours un accueil chaleureux aux participants du stage. Ces derniers passent ensuite un moment dans le café durant lequel ils jouent, font de la musique, lisent etc.
A 13h45 les activités reprennent autour du thème choisi : lecture d’une histoire, jeux, intervention d’un artiste ou d’un artisan professionnel, bricolage, visite de la chapelle, et goûter se succèdent. A 16h, je fais le bilan de la journée avec les enfants, avant leur départ.
"À la fin du stage, ils sont heureux et fiers de repartir avec ce qu’ils ont créé."
Peux-tu nous partager une joie de ton métier ?
La meilleure récompense que je reçois des enfants, à chaque stage, c’est de voir leur réaction émerveillée au moment où j’ouvre la porte de la chapelle : ils sont tout de suite impressionnés par la beauté de l’édifice, par la hauteur des voûtes, et les couleurs des vitraux. Ils sont très sensibles à ce monument culturel d’exception, à partir duquel s’est construit le projet. C’est pourquoi j’ai à cœur de le leur faire visiter à chaque fois, car sans la chapelle, cœur de l’écosystème culturel des Feuillants, les stages n’auraient pas pu être mis en place.
Qu’est-ce qui te motive à continuer ?
C’est principalement de voir les enfants changer au cours des stages : quand ils arrivent le matin, certains sont méfiants, sur leur garde, ils ont parfois peur car tout est nouveau pour eux au tiers-lieu. A la fin du stage, ils sont heureux de leur journée, fiers de repartir avec ce qu’ils ont créé, et me disent leur envie de revenir. Ils me motivent à organiser de futurs stages et à faire de mon mieux pour qu’ils se sentent bien accueillis au tiers-lieu. Ils sont mes meilleurs ambassadeurs auprès des autres enfants !
Et maintenant ? Quel avenir pour ce projet ?
Mon objectif pour 2024 est de pérenniser mes partenariats actuels et d’en développer de nouveaux avec d’autres structures, afin d’accueillir des publics diversifiés. Je souhaite également systématiser l’intervention des artistes et artisans professionnels lors des stages : ils peuvent transmettre leur savoir, leurs techniques et leur expérience à ces jeunes et nourrir des échanges riches pour leur avenir. De plus, les stages seront plus réguliers : une ou deux fois par vacances scolaires.
L'extension du projet socio-culturel ira de pair avec la mise en place de parrainages pour les enfants défavorisés. Pour le parrain, personne physique ou morale, c’est le moyen de s’engager dans un projet au service de l’humain et de la société, et de soutenir le jeune dans son apprentissage. Pour le jeune, c’est non seulement le moyen de se rendre aux stages financés par son parrain, mais aussi d’en recevoir des conseils pour son avenir (rédiger un CV ou une lettre de motivation par exemple) ; épaulé par un chef d’entreprise, il peut plus facilement s’insérer dans la société et assurer son avenir professionnel.
Réaliser tous ces objectifs, c’est favoriser la reconstruction, l’épanouissement et l’émancipation de ces jeunes défavorisés.